CONFINEMENT: INTERVIEW AVEC MANU REMAURY GASTRONOME ENTREPRENEUR

A la deuxième saison du confinement on a repris les interviews à distance, en prenant l’angle du changement. Le confinement nous oblige à nous adapter, à changer de vies même parfois. C’est le cas de nos invités qui n’ont pas attendus la pandémie pour s’offrir un nouveau parcours ou pour vivre d’autres vies parallèles et se diversifier. 

Comme notre autre invité Hugo Giry, Manu Remaury a quitté la France pour l’Italie avant d’envisager de rentrer à Toulouse reprendre l’entreprise familiale et accompagner les restaurateurs avec de bons produits.

Où es-tu en ce moment ?

À Syracuse, Sicile Orientale, en zone orange, ça veut dire région fermée, couvre-feu à 22h, bars et restaurants fermés, dont celui de l’entreprise agricole Trimarchi di Villa Marchese, pour laquelle je travaille. Par manque d’affluence, notre boutique de produits a également fermé.

Vous ne proposez pas à emporter ?

En cette période Syracuse s’est considérablement vidée, les déplacements étant vraiment limités. Les Siciliens n’ont pas la culture de la vente à emporter et sortent beaucoup moins au restaurant. L’offre de notre restaurant “Casa Trimarchi“, axée sur les plats traditionnels siciliens est peu adaptée à la livraison à domicile sur le marché local. Nous sommes cependant entrain de repenser notre appareil productif pour proposer des plats faciles à emporter.

Tu t’occupes comment durant cette période ?

J’essaye de rester sur le terrain et en entreprise tant que je peux. Nous continuons heureusement à produire (jus de grenades, artichauts à l’huile…) et notre laboratoire nous permet de maintenir un brin d’activité. Je profite aussi de cette période pour mettre à jour notre site et dynamiser nos ventes en ligne. Dès que j’ai du temps pour moi, je cuisine beaucoup, expérimente de nouvelles recettes mais surtout je prépare mon retour en France.

Mon père est récemment venu me rendre visite à Syracuse et lors d’une discussion à bâtons rompus, nous avons commencé à envisager la suite pour son entreprise : Olivier Gastronomie, à Toulouse. Le confinement nous a permis ici de se recentrer sur les activités essentielles (matières premières et produits finis) et là de concrétiser une transition de père en fils.

  

C’est quoi ce projet avec ton père ?

Le fait d’être en Sicile m’a permis de laisser mûrir tranquillement (sous le soleil) l’idée de rejoindre l’entreprise familiale à Toulouse. Je me suis finalement décidé à retourner dans le berceau familial pour y apporter un peu de Méditerranée en plus de ma jeune expérience. Mon père est distributeur de produits du Sud-Ouest pour les restaurants avec une offre principalement constituée de viande et de volaille. L’idée, c’est de continuer dans cette veine là tout en apportant ma touche : rafraîchir l’image de l’entreprise en gardant un pied à Syracuse avec le développement de nouvelles recettes s’intégrant davantage dans une offre “végétale“.

Donc tu te vois t’installer définitivement à Toulouse ?

Je ne me vois pas vivre en Sicile mais je ne veux pas la quitter non plus totalement, une partie de ma vie est maintenant enracinée ici, au milieu des orangers et des oliviers. Il est donc pour moi impératif de revenir en sur cette île régulièrement et garder cette dynamique de “recherche et création de nouvelles recettes“ avec la famille Trimarchi. Je pense aussi repasser à Marseille et renouer davantage de liens avec l’Épicerie l’Idéal où je travaillais avant de partir en Sicile, partir à la découverte de nouveaux terroirs pour rester en mouvement et en veille culinaire.

 

De gros changements en vue on dirait, non  ?

Quand je vais rentrer en France, toutes mes attentes vont se superposer : reprendre l’entreprise familiale, m’installer avec ma copine qui est restée en France pendant mes années à l’étranger… et étrangement c’est bien en Sicile que j’ai nourri ce besoin de retour au pays natal, j’ai peut être pris conscience de l’importance et de la force de l’esprit de famille, très souvent exacerbé ici. Mais m’installer à Toulouse ne veut pas dire que je ne voyagerais plus. Au contraire ce sera un point d’ancrage à la fois professionnel et personnel pour mieux repartir… en Sicile, en Italie, en Espagne mais aussi dans les villes voisines pour élargir la gamme avec de nouveaux producteurs et développer la distribution auprès de chefs et restaurateurs.

Les voyages m’ont façonné mais ce sont surtout les expériences professionnelles qui m’ont permis d’affiner mon parcours et de trouver ma voie. Le voyage est pour moi l’occasion de découvrir une culture mais surtout de goûter de nouvelles choses, de nourrir mes idées et mes projets. Une gamme de produits riche et diversifiée est d’ailleurs selon moi le résultat naturel et organique d’une somme de voyages et de découvertes.

Comment tu vois ton implication dans l’entreprise familiale ?

Pour commencer, je vais essayer de m’intégrer en douceur en me positionnant où il y aura nécessité sur le moment. Je m’imagine déjà, papier et crayons à la main, écrire ce que je vois, ce que je ressens, on dit souvent que le premier œil est souvent le plus affuté et j’y crois dur comme fer. Avec un focus particulier sur l’image de l’entreprise, réussir à promouvoir son savoir-faire, sa sélection fine et rigoureuse de produits. Une première année où j’ai envie d’embrasser tout ce que fait mon père, l’idée est vraiment de l’accompagner, suivre ses pas au quotidien pour mieux comprendre quel est son rôle et quel sera le mien. Y’a une idée de passation que je trouve belle. Je veux en profiter. Et puis petit à petit il me déléguera de plus en plus de responsabilités jusqu’à ce que je sois complètement autonome à la gestion de la société. 

 

Que vas tu garder de cet héritage et que vas tu changer ?

C’est une entreprise aux traits de caractère simples, humains et essentiels avec un penchant pour la tradition. Je souhaite conserver chacun de ces traits mais leur donner plus de clarté, je veux qu’on puisse les distinguer. Bien entendu, je dois aussi m’approprier une part de ce caractère en faisant évoluer certains traits avec notamment l’idée de proximité que je veux rendre plus lisible. J’aimerai repenser l’entreprise comme un lieu versatile touchant beaucoup plus de domaines : événementiel, dégustation, rencontres, cuisine, épicerie fine. Mais tout en gardant l’approche traditionnel au métier, la relation aux producteurs, aux produits, à nos clients et ce qui nous lie : le terroir… L’offre actuelle de l’entreprise est très sectorisée sur Toulouse alors qu’elle est assez riche et complète pour pouvoir se développer en France et à l’étranger, une autre piste de développement auquel je pense…

Je veux garder dans la société de papa le cœur de la gamme, ce pourquoi elle est née : le canard. C’est un produit versatile, il traverse les saisons et les cultures, il est cuisiné partout et ce depuis la Grèce antique, à l’orange, aux olives ou aux morilles, les recettes et les associations sont infinies. Il est certes un produit carné mais représente une bonne base de travail pour enrichir la gamme de condiments: des produits de la Méditerranée, les pistaches, les câpres… des matières premières simples mais gorgées de soleil, travaillées et conservées simplement, sous sel ou dans l’huile d’olive.

Est ce que le confinement a changé quelque chose ?

C’est l’émotion qui me guide mais sans le revendiquer, je travaille, vis, avance, par passion sans vraiment m’en rendre compte. Je suis stimulé par une sorte d’animation de voir naître de grands projets à partir de choses très simples : un citron, une tomate… C’est le fil conducteur de mon rapport à la Sicile, aux produits, aux recettes et à la “FAMIGLIA“… et le confinement a fait resurgir plus nettement tout cela.

Lors du premier confinement, je me suis mis à l’écriture d’un journal illustré par des recettes, des photos de mon quotidien solitaire ponctué par quelques anecdotes de mon vécu à Syracuse. Un récit de mes ressentis s’étalant sur une période de 100 jours, pour observer et profiter du retour graduel à la liberté.

Au second confinement, je continue à trouver refuge dans la cuisine, les recettes, mais je me sens bien, sans ressentir le besoin marquer tout cela noir sur blanc. Je suis davantage dans l’après, à exploiter les émotions pour être constructif, les ordonner et les concilier avec mon vécu en Sicile et ce que je veux en garder. De l’autre côté, je vis avec un sentiment de profonde mélancolie, me rendant compte que je quitterai bientôt cette terre qui m’a tant nourri. L’émotion est beaucoup plus présente chez moi depuis que je suis arrivé sur cette île et avec ces périodes de confinement, j’essaye d’en faire quelque chose.            

Comment tu t’y prends ?

Pour ce confinement j’ai pris le temps de m’interroger sur ces émotions et des envies de recettes que je n’avais jamais eu le temps de faire ont finalement vu le jour (pasta et pois chiches, pasta à l’encre de seiche ou encore blettes, ricotta et citron…). Ça m’a permis de me reconcentrer sur le produit, ce pourquoi je suis venu en Sicile : pour goûter, expérimenter, au point de me forger un caractère assez fort pour imaginer la suite comme une évidence, une suite logique.

Je me vois vraiment aujourd’hui comme un cuisinier sans fourneaux, avec l’envie d’être au plus proche des chefs, en cuisine ou ailleurs. C’est le partage du ressenti d’un produit, d’un plat qui m’anime au plus haut point.  Pendant le premier confinement le premier truc que j’avais envie de faire tout de suite sur le moment, c’était d’ouvrir une épicerie avec tous les produits que nous avions fait et que j’avais pu découvrir pendant mon voyage. Mais je me suis vite rendu compte que c’est incompatible de manière immédiate avec le projet entrepreneurial familial. Ce projet personnel s’intégrera au projet global, suivant et respectant une nouvelle suite logique. Et ça je l’ai compris maintenant.

Avant de rentrer à Toulouse quel est le produit que tu voudras travailler, la recette que tu voudras faire et partager avec les Siciliens juste avant de partir ?

Pour la petite anecdote, les Siciliens sont des grands amateurs de foie gras et de canard, chaque fin d’année beaucoup de membres de ma famille sicilienne reçoivent leur propre foie gras pour éviter tout type de dispute, ils le dégustent avec solennité et passion. Même histoire pour les cuisses confites, le magret séché… Comme quoi un mariage entre le Sud-Ouest et la Sicile n’est pas tout à fait impossible. La recette que j’aimerai faire prochainement est le “bœuf bourguignon“, elle représente pour eux toute l’image de la cuisine française, et ils me la réclament très souvent !

Et quelle est la première recette que tu voudras partager à Toulouse à ton retour ?

La première recette de “pasta“ sera avec du pesto d’amandes, de l’espadon, des tomates cerises et de la menthe. Pour le produit, ce sera la tomate semi-séchée, équilibre parfait entre croquant, chair tendre et fruité. Histoire de ramener un peu de ma vie sicilienne à Toulouse le temps d’un repas en famille et avec les amis.

 

Trimarchi di Villa Marchese: www.tdvm.it

Instagram: https://instagram.com/trimarchi_di_villa_marchese/

Casa Trimarchi: www.casatrimarchi.it

Instagram: https://instagram.com/casa_trimarchi_sr/

Olivier Gastronomie: https://www.olivier-gastronomie.fr                                        

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